La sécurité en expédition

La Sécurité en expédition , un enjeu majeur canalisant toutes mes attentions !

 

Parce-que la sécurité collective  se doit d’être le soucis individuel de chaque instant et parce-que la moindre petite blessure peut vite dégénérer au mieux en galère et au pire en drame collectif, voici quelques éléments en réponse à ceux qui m’ont posé la question du « comment  » je concevais et gérais la sécurité  lors d’une expédition  qui comporte un réel et fort engagement .

Je considère que la plupart des accidents ou des situations qui s’en approchent sont générés non pas par des réalités objectives que l’on subit mais par des facteurs humains qui ont justement conduit par des façons souvent détournées à ces situations, j’adopte donc quelques règles non exhaustives simples et strictes qui sont :

– Je responsabilise et dispense à chaque membre inscrit, un entrainement pré-expé sérieux et intensif dont le but est de « gommer » par « identification  » et anticipation tout problème pouvant survenir suite à un facteur humain , technique ou matériel.

– J’enseigne  l’importance du détachement émotionnel dont il faut faire preuve pour éviter le « pas » ou la « course » de trop…

– Je m’efforce « d’oublier » ce que je considère comme des techniques et des connaissances acquises, j’essaye d’en inventer d’autres et de me fixer d’autres références, cela me sert à mieux traiter des situations endémiques provoquées par la particularité de ce que l’on peut rencontrer dans ces endroits .

– J’enseigne la maîtrise des méthodes visant à passer des skis aux crampons et inversement en terrain délicat et en un minimum de temps, cela permet de ne pas hésiter à changer de technique quand cela est nécessaire.
– J’utilise un encordement systématique très long à la montée sans nœuds de freinage avec des cordes de 50 m pour deux personnes, 60 m pour trois, les deux alpinistes de chaque extrémité avec une petite réserve dans leur sac, celui du milieu encordé sur machard confectionné avec une sangle en dynéma pour pouvoir réaliser des manœuvres de franchissements ou autres optimisations .

– Nous emportons  une ou deux cordes de secours pour fixer ou autres techniques ainsi qu’un réchaud.

– J’impose le port d’un casque d’alpinisme même à la montée.

– Je ne « noie  » pas le groupe  de consignes  mais je recommande et veille à ne jamais voir personne déchausser ses deux skis en même temps ni à effectuer de regroupements serrés même parfois au sommet.

– J ‘utilise des fanions pour effectuer des marquages de points stratégiques ou piégeux afin de ne pas nous faire surprendre si nous devons repasser aux mêmes endroits lors du retour …

Retour de la baie Marguerite en Antarctique

 

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De retour de cette nouvelle et merveilleuse expérience très loin vers le sud , je souhaite vous faire partager quelques ressentis ainsi qu’un retour d’expérience ayant marqué le séjour .

Des images  viendront bientôt illustrer ce voyage de 40 jours.

Malgré des conditions cette année difficile ,beaucoup de glace de mer, de vent et de brouillard, nous avons eu la chance de pouvoir réaliser 14 sommets dont 7 probablement originaux tous situés au sud du 66 ° .

Jérome Poncet,  capitaine courageux, sans lequel je n’aurai jamais eu l’envie d’aller visiter ces contrées, nous a offert, pour l’année de ses 70 ans, l’un des plus beaux voyage qu’il m’ait été donné de vivre dans le grand Sud,   ce même sud ou tout au moins les mêmes endroits, ceux là même ou il a hiverné avec sa femme et donné à ses enfants les valeurs de la vie dans une grande nature  sauvage et préservée .

Désormais, il a choisi de se tourner vers d’autres horizons: la remontée du Pacifique pour atteindre les contrées polaires nord-américaines , d’où peut être que ceux d’entre vous qui l’ont connu ou le désirent le re-trouveront ou pas….

Je lui doit une reconnaissance éternelle pour encore une fois avoir su nous montrer, nous apprendre et nous faire percevoir du bout des ongles la réalité de cette nature fragile qui sera de plus en plus soumise à des exploitations de masse .

Comme à son habitude ,il nous a régalé en nous ayant préparé à l’avance ses terrines, saucisses gigots de mouton, oies phoques, rennes et guanaco qu’il avait chassés ou prélevé sur son île de Beaver .

L’au revoir avait un gout d’adieu sur le ponton se Stanley mais je tiens aussi à remercier tous ceux d’entre vous qui lisent ce message et qui ont participé de près ou de loin à l’élaboration et à la concrétisation de ces projets, je n’oublie pas que sans vous, je n’aurai jamais vécu ces moments !

Voici un petit retour d’expérience que nous avons vécu loin de tout en plein milieu de l’expé j’ai pensé que cela pouvait être utile de vous le faire connaitre :

Nous évoluions sur un plateau glaciaire formé de neige très dure sans aucune crevasse apparente , seule une très fine couche de neige poudreuse recouvrait la neige gelée.

Nous formions deux équipes de trois personnes, encordées très long, le leader de la deuxième équipe émis la demande de se décorder car il lui semblait superflus de garder la corde dans ces conditions de neige sécurisante et de plus avec des crevasses inexistantes,ou du moins invisibles, je refusais par principe de précaution plus que par conviction d’un danger imminent …

Pourtant à un moment , mon bâton transperça la couche de neige, après étude soignée de la situation, je réalisais que je longeais en fait une crevasse dans le sens longitudinal, je décidais de modifier ma progression en faisant un grand crochet à D puis à G afin de traverser le pont le plus perpendiculairement possible, je marquais l’endroit d’un fanion pour me souvenir au retour de ce piège et aussi pour prévenir l’autre cordée qu’il était indispensable de suivre le bon cheminement .

Lorsque le leader de l’autre cordée s’approcha , il ne saisit pas en fait la raison de ce zig-zag et continua tout droit marchant donc dans le sens du pont ,lorsque celui-ci cédât , son second de cordée n’était pas attentif , perdu dans ses pensées et dans la contemplation du paysage.

Le troisième de cordée qui avait aussi du mou devant lui comprit immédiatement la situation et hurla au second de tendre la corde, celui ci, par réflexe, courut en avant donnant ainsi encore plus de mou à celui qui était déjà entrain de sombrer dans le trou , il fit donc une chute libre d’une dizaine de mètres avant d’être freiné par la corde et le frottement de son corps entre les deux parois de glace .

Seule la grande longueur de corde ainsi que la présence du troisième de cordée permit au second de ne pas plonger dans le trou, le casque de la victime fut impacté et je n’ose imaginer la même scène sans casque .

Moins de longueur de corde même avec des nœuds répartis auraient sans doute eu pour effet de faire plonger le deuxième de cordée dans le trou, vu que son approche ne s’est pas produite de façon perpendiculaire mais parallèle, je ne regrette pas la méthode utilisée, les nœuds de freinage n’agissant que dans une configuration d’approche idéale et freinant également la progression de la cordée lorsque le terrain est par exemple parsemé de neige non lisse .

La suite fut un sauvetage classique au mouflage dont l’installation fut rendue difficile par la présence de neige très dure, aucune pelle en plastique ni manche en carbone n’aurait résisté à cet exercice……

L’autre alternative au sauvetage aurait pu être d’utiliser les cinq personnes en surface afin d’effectuer une traction directe de la victime,je n’ai pas choisi cette méthode car je craignais le risque engendré par un rassemblement collectif dans une zone qui s’était avérée plus que suspecte …

Je vous laisse donc en tirer les enseignements que vous voudrez, après cet épisode, plus personne ne me suggéra de ranger la corde dans le sac pour parcourir de longs plateaux débonnaires ou d’autres surface de neige dure et rassurantes …..

Voilà quelques photos de cette année choisies dans celles de toute l’équipe !

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